QUAND LES BIENS MAL ACQUIS PROFITENT TOUJOURS

Publié le par lou-de-louise

La magnifique demeure de l'Amérique latine sise Boulevard Saint-Germain à Paris et vouée depuis 1946 aux échanges culturels et diplomatiques entre la France et les pays d'Amérique Latine ainsi qu'à de nombreux colloques, recevait dernièrement à l'initiative de l'Association Sherpa et de l'Observatoire géopolitique des Criminalités, de nombreux experts en matière de Criminalité transnationale tels Bernard Bertossa , ancien Procureur de Genève et instigateur du fameux Appel , mais encore Jean-Marie Duniau , analyste chez Kroll France ou Daniel Lebègue ( président de Transparency France), ....dont certains spécialisés notamment dans la récupération des avoirs de la Saga des " Biens Mal Acquis"détournés par certains dictateurs africains.

Un colloque qui a réaffirmé la cupidité de certains chefs d'États bannissant de la politikè l'intérêt général au profit de leurs très nombreux intérêts particuliers et qui a permis de faire le point sur la situation en 2014 d'une Corruption qui gangrène toujours les États du Sud, les reléguant par voie de conséquences à une condition de pays en voie de développement .

FOCUS SUR LA GENÈSE DE LA FRANCAFRIQUE

En 1998, l'économiste François Xavier Verschave ( disparu d'un cancer foudroyant en 2005) président de l'association Survie spécialisée dans la lutte contre la Corruption en Afrique, dénonçait en jouant sur les mots d'une "France à Fric", dans son opus intitulé

"La France Afrique , le plus long scandale de la République " les méthodes de gestion opaques de feu le Président Félix Houphouët Boigny et mettait en exergue la définition de ces relations et réseaux d'influences tissés entre la France et ses anciennes colonies africaines voire aussi avec les pays francophones . Selon Verschave la franc-maçonnerie à travers la Grande loge nationale aurait la main mise sur la France Afrique et soutiendrait ainsi les dictateurs dans leurs exactions et coups d'États se terminant souvent par des bains de sang . Ne lésinant pas sur les moyens employés afin de faire régner leur suprématie, ces derniers auraient recours à des détournements de fonds importants et des financements illégaux versés aux partis politiques. C'est ainsi que l'économiste décrivait abondamment une certaine politique étrangère de la France , agissant à l'abri du Ministère des Affaires Étrangères , mais relevant d'une " cellule plus occulte" venant de l'Élysée et couvée à cette époque par le Ministère de la Coopération. Pour Verschave un véritable marigot où s'entrelaçaient des services composés de techniciens et fonctionnaires légitimes tels la DGSE ou plus illégitimes comme des laissés pour comptes de la même maison, devenus des mercenaires voire des barbouzes , donnant par le fait même une bien piètre image de l'État de droit.

Aujourd'hui on peut répertorier trois affaires qui ont mis en évidence les tenants et les aboutissants de cette France Afrique.

La première sera la découverte en 1994 de l' Affaire Elf, labellisée "la pompe à fric".

Une affaire débutée à partir d'une plainte de l'AMF sur la société du roi du textile Maurice Bidermann et dont l'instruction menée par le duo Joly/ Viejniewski mettra à jour une gigantesque affaire de corruption et des ramifications tentaculaires jusqu'en province avec l'octroi de pôts de vins baptisés " caramels" à des politiques avides et appâtés par le gain.

S'ensuivra toujours en 1994 l'affaire dite de l'Angolagate, soit la vente d'armes au gouvernement angolais du Président Dos Santos portant sur quelques 790 millions de dollars américains alors que faisait rage la guerre civile entre le Mouvement Populaire de l'Angola (MPLA) au pouvoir et le parti de l'Union Nationale pour l'Indépendance ( l'Unita). Une affaire qui viendra " remuer" l' Institution judiciaire à travers les renvois en correctionnelle, puis en appel de Charles Pasqua, Pierre Falcone ou encore Arcadi Gaydamak.

Enfin l'Affaire dite des Biens Mal Acquis , définie comme étant la résultante de biens ou divers avoirs liés à des activités opaques, voire criminelles ayant permis à certains dirigeants africains de s'enrichir sur le dos de leurs contribuables à travers des détournements de fonds , des transferts illicites d'argent public via une évasion fiscale tout azimut utilisant le schèma classique de la Corruption vers les paradis fiscaux, fiduciaires et sociétés écrans.

On parle de quelques 180 milliards de dollars américains d'avoirs africains aujourd'hui détournés.

LES BIENS MAL ACQUIS DANS LE COLLIMATEUR DES ASSOCIATIONS LUTTANT CONTRE LA CORRUPTION

La genèse de l'Affaire.

Face à une situation intenable dans leur pays, la Fédération des Congolais de la Diaspora appuyée par les associations Sherpa qui lutte pour la protection et la défense des victimes de crimes économiques et Survie spécialisée dans celle de la fraude , déposent en mars 2007 une première plainte pour "Recel de détournement de biens publics et complicité" contre plusieurs chefs d'États africains et leurs familles. Une plainte fondée non seulement sur leurs convictions mais encore étayée par des enquêtes policières ayant établi que les chefs d'État tels feu Omar Bongo, Denis Sassou N'Guesso et Teodoro Obiang et leurs familles sont propriétaires en France de biens immobiliers de luxe et détenteurs de nombreux avoirs bancaires auprès de banques françaises et /ou de banques étrangères ayant des activités en France . Lesquels proviennent de détournements de fonds de l'argent public de leur pays au détriment de leurs contribuables , spoliés par le fait même de toutes contributions réelles.

Pourtant cette plainte sera classée sans suite par le parquet du TGI de Paris en avril 2009 et motivée par " des infractions insuffisamment caractérisées pour déclencher l'action publique".

Le 2 décembre 2008, un citoyen Congolais Grégory Ngbwa Mintsa appuyé par l'ONG Transparency France et Sherpa déposent une nouvelle plainte fondée sur les mêmes chefs d'accusation corroborant " le recel de détournements de biens publics et complicité" contre plusieurs chefs d'États Africains et leurs familles.

En novembre 2010 la Cour de Cassation conclut à la "recevabilité de la plainte assortie de la désignation d'un juge d'instruction et de l'ouverture d'une information judiciaire". Ainsi pour la première fois une action collective de victimes de corruption est prise en considération.

LE PROBLÈME DE LA RESTITUTION DES AVOIRS DÉTOURNÉS

Si le chemin menant aux chefs d'États impliqués dans le système de Corruption tels Mobutu , Sadam Hussein , Khadafy , Suharto, Marcos ( tous décédés ) Ben Ali ou encore Trabelsi a été long en vertu de leur immunité diplomatique, il apparaît désormais que le recouvrement des avoirs détenus par leurs familles sera plus simple car ces derniers ne bénéficient pas de ce privilège même s'ils "s'évertuent" à contourner la loi.

Tous les experts ont mutualisé leurs approches du phénomène de la corruption.

Ainsi selon Bernard Bertossa qu'on ne présente plus mais qui affiche quand même ses 40 ans passés comme juge du siège Suisse puis de procureur en charge des affaires les plus sensibles et surtout instigateur du fameux Appel de 1996 pour la lutte contre l'évasion fiscale et les paradis fiscaux, la récupération des avoirs détournés , ces Biens mal acquis est un véritable parcours du combattant.

Toutefois quelques millions de dollars ont été récupérés dont 500 millions de dollars restitués par la Suisse aux Phillipines après douze ans d'instruction par le président Marcos dans les années 80; un million d'euros par le sénateur du Var Maurice Areix ou encore 18 millions d'euros rendus à l'Ukraine.

Selon le procureur Bertossa, partant du postulat que la notion de dictateur renvoie à celle du politique et non du juridique, la récupération des avoirs illicites doit se fonder dans un premier temps sur une collaboration internationale entre l'État d'origine et les États de placements de fonds qui correspondent à une véritable nébuleuse ( Rappel de la Convention de l'ONU de 2000 sur la Transnationalité: Art 14 et la Convention contre la Corruption de 2003 : Arts 55 et 57 qui oblige la restitution); puis sur deux opérations successives à travers:

_ l'Identification , le gel et le blocage des avoirs

_ la confiscation des avoirs et l'affectation de leurs montants afin de permettre leur restitution aux victimes des États étrangers et ce dans un cadre " protocolé" juridiquement et "non de ce qui serait souhaitable pour ces pays qui alors appliqueraient leur propre loi ".

Et les difficultés rencontrées sont nombreuses . Car on se heurte alors à une certaine instrumentalisation du pouvoir, d'autant que le corrompu peut se constituer partie civile endossant le costume de victime qui demande alors la restitution de ses avoirs selon ce statut. Ou bien encore lorsque l'État d'origine du dictateur demande l'assistance des pays concernés à des fins de restitution.Ceux sont alors l'ONU et la Banque mondiale qui interviennent et qui peuvent ordonner le gel des avoirs mais exclusivement dans le cas où l'État concerné a fait une demande d'entraide internationale et l'État en question a été considéré comme défaillant tel Haïti par exemple.

Selon Bernard Bertossa qui considère "l'Europe dépourvue d'une volonté politique" où la Grande Bretagne remporte la palme, où " le parquet français est en mal d'indépendance et subi les contre-coups d'éléments extérieurs l'empêchant d'agir", il serait alors judicieux et judiciaire de créer une Cour internationale sur le modèle CPI où les représentations des États concernés reconnaîtraient aux ONG des droits de parties civiles afin "de faire contre poids aux autorités judiciaires qui ne veulent pas agir ainsi que la création d'un fond de soutien international géré par l'ONU".

Pour d'autres experts il s'agit dans un premier temps de quantifier le patrimoine spolié. Mais il s'avère qu' au regard des imbrications et ramifications multiples des réseaux impliqués dans la corruption " à chaque fois qu'un dictateur tombe, c'est la sécurité qui s'écroule"affirme Pierre Conesa maître de conférences à Sciences Pô.

En effet la gestion du système mise en place par certains corrompus aux fins de détournements d'avoirs fait apparaître leur collusion in fine non seulement dans l'État de droit au niveau national mais encore à travers leur participation financière dans moult secteurs internationaux par le biais de leurs propres hommes de loi ou leurs fondés de pouvoirs peu regardant et défendant leurs intérêts dans des fiduciaires, paradis fiscaux , sociétés off shore ou encore dans des fondations . Des comportements qui nuisent grandement à "l'Establishment"et concourent à déstabiliser la Démocratie dans son intégralité sous la forme du " stradling ou chevauchement" des pouvoirs caractérisé entre le pouvoir central et celui des élites . Ces derniers représentent dans bon nombre de pays africains la classe dominante et ont véhiculé au fil du temps grâce à leur savoir et leur méthode d'appropriation des moyens, une nouvelle image des dictateurs des temps modernes loin de celles de la Guerre froide. En outre souvent ces fils de leurs pères qui "ont passé la main" ont été envoyés dans les meilleures universités et maîtrisent désormais parfaitement les codes du Système à travers notamment la création de nombreux fonds de pensions ; une méthode employée d'ailleurs dans de nombreuses transactions internationales . C'est le cas du Congo , de la descendance de Kadafi ou encore de nombreux participants économiques du monde arabe , asiatique voire du monde entier qui mettent en exergue leur statut de dictateurs, un pillage à outrance et , par voie de conséquences, "une inégalité sociale récurrente par l'exploitation de la population " comme le confirme Jean-François Bayard, directeur de recherche au CNRS et spécialisé sur l'Afrique. Pour ce dernier "les grande ressources de production voire de reproduction, relèvent plus du capital intellectuel que financier, car la volonté est avant tout politique".

Selon Jean-François Deniau, analyste chez Kroll France, une société d'audit spécialisée dans la traque des avoirs frauduleux, l'identification des avoirs passent , elle, "par la recherche des actifs dans les administrations dont elles ont la charge". Une démarche qui dévoile les interactions sur fond de diplomatie entre le politique , l'économique et "certaines personnes en place" souvent impliquées dans la fraude .

Ce qui révèle la nécessité d'une volonté réelle et partagée par quelques juristes exequatur expérimentés pour mener jusqu'au bout leurs recherches. En outre pour cet analyste, les méthodes de blanchiment ont beaucoup évolué ces derniers temps , faisant désormais appel à une grande sophistication dans le déplacement des capitaux mais aussi de référents oeuvrant dans les sociétés off shore.

Face à ces méthodes douteuses, Jean-Marie Deniau préconise la création d'un Network constitué de compétences mutualisées où devront cohabiter la justice fonctionnant sur de nombreuses saisines à travers notamment les équipes communes d'enquêtes, des sociétés d'audit mais aussi des cabinets comptables aptes à déjouer les supercheries afin de remonter la chaîne de la fraude organisée et généralisée.

Une heureuse initiative aussi que l'existence, au Sénégal, d'une Cour de répression contre les délits d'enrichissements illicites ( art 163 bis de la Loi du 10/07/1981) permettant la justification de la preuve fondée sur le délit d'enrichissement illicite dans un délai d'un mois comme le souligne Maître Fall, avocat de ressortissants Sénégalais spoliés par le gouvernement du président Wade et de son fils ; lesquels afin de se dédouaner ne ménagent pas leur peine en organisant des contre-feux basés sur " la bataille de l'Opinion". Une affaire où selon la Cour Européenne, huit personnes seraient impliquées dont le directeur du cadastre qui a été mis en prison .

Toutefois il semble que le monde ait pris ,en théorie, conscience désormais du fléau mais qu'en pratique, perdure encore la frilosité chez certains, le découragement chez d'autres face au manque de soutien financier et moral rencontrés dans l'éradication de la fraude.

LOUISE DE LOU

Ex colonies Africaines: Togo, Congo Brazzaville, République Démocratique du Congo, Rwanda, Sénégal, Cote d'Ivoire, Cameroun, Burundi, Tchad, Comores, Gabon, Burkina Faso, Madagascar, Bénin, Algérie,Tunisie, Maroc, Guinée Équatoriale, Niger, Djibouti, Mali, Centre- Afrique, Guinée Conakry.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article