UNIVERSITÉ D'HIVER DU BARREAU: ENQUÊTE DE VÉRITÉ OU EN QUÊTE DE VÉRITÉ ?

Publié le par LOUISE DE LOU

Les 11 et 12 décembre 2014 le tandem juridique du Bâtonnat de Paris en les personnes de son bâtonnier Pierre Olivier Sur (cabinet Sur et Associés ) et du Vice bâtonnier Laurent Martinet (cabinet Jones Day, ) lançaient à la Mutualité de Paris devant un parterre nombreux la première édition de l'Université d'Hiver du Barreau de Paris au thème évocateur et suggestif de la Conquête et de la Séduction. Le but de cette rentrée scolastique : fédérer , réunir et faire surtout se rencontrer des intervenants de renom sur de grands thèmes philosophiques ou à degré d'importance diverse mais encore en favoriser le débat et s'ouvrir par voie de conséquences à la société civile. Fiers d'une première édition réussie, le même binôme juridique avait choisi pour cette édition de fin d'année 2015 le thème de la Vérité , celui de dire toute la vérité ?, une certaine ou bien la sienne ?

LA VÉRITÉ PAR DÉFINITION

Selon le Larousse Illustré, la Vérité , du latin Véritas se définit comme "étant la qualité de ce qui est vrai, de la conformité de ce que l'on dit avec ce qui est ". Par extension , cela renvoie à la notion et/ou à la connotation de la constance , de la sincérité voire de la bonne foi.

Un thème choisi en tout état de cause avec la nécessité impérieuse d'une certaine transparence par le Batônnat qui invoque que l'image véhiculée actuellement par les avocats relèvent de plus en plus pour leurs clients dans la défense de leurs intérêts " de celle d'un mensonge et du reflet déformé de la réalité". Ainsi face "au droit de mentir " qui n'est quand même pas la panacée d'une obligation , le bâtonnat prône le " rejet du mensonge et le droit à la vérité qui doit alors s'imposer"et ces derniers d'ajouter " haut et fort que l'avocat doit être acteur de la vérité judiciaire".

Mais alors face à cette assertion quelque peu paradoxale une question brûle les lèvres et s'impose comme une évidence à l'esprit. Dans l'application du droit français utilisé par ses défenseurs peut-on parler d'une réelle expression de la vérité si lorsqu'on met à nue cette dernière justement quand le terme "d'acteur" choisi par le bâtonnat renvoie à l'image d'un Histrion . Lequel ne l'oublions pas jouait dans la comédie grecque un rôle et avançait toujours masqué , soit plus prosaïquement dans ce contexte lorsqu'on est en situation scénique ou que l'on s'y place , on enfile alors l'habit de comédien qui se glisse dans la peau d'un autre . Certes ce dernier joue un rôle , parfois proche de la vérité mais parfois peut en être complètement éloigné. Et ce contrairement au droit anglo-saxon applicable et appliqué justement dans les pays dit de Commun Law où tous les membres d'un procès , des policiers aux avocats en passant par les magistrats , témoins mais encore victimes qui ont investigué en amont pour la recherche de la vérité justement, voire aussi les personnes poursuivies lors de leur comparution à la barre " jurent de dire la vérité, rien que la vérité" et la confirme en la validant et en répondant "je le jure". Toutefois le non respect de s'affranchir alors de cette réponse leur ferait endosser le statut de parjures qui encourraient des poursuites pénales.

LA VÉRITÉ MODE D'EMPLOI... ELLE DIVERGE SUIVANT L'INDIVIDU ET SA FONCTION

Si chez certains mentir est viscéral, cette catégorie restant quand même limitée, la vérité ou son opposé le mensonge peut est pratiqué suivant sa profession. Par exemple en politique le recours au mensonge relève alors de ce que l'on appelle la langue de bois , cette" façon de masquer la réalité" comme le mentionne l'historien Christian Delporte dans son opus " Une histoire de la langue de bois" chez Flammarion. Par définition la langue de bois est pour ce dernier "une manière d'aborder et d'exposer les questions nourries de précautions oratoires, d'une langue diplomatique rénovée, alimentée de périphrases , enrichies de mots dont la seule vocation est de masquer la réalité des choses. " Et ce dernier d'ajouter: " Autrefois on cultivait le flou, désormais on l'organise comme une copie d'examen de l'ENA ou un rapport administratif dont le but est de contrôler sa parole entre soi et l'opinion publique. " Mais masquer est un euphémisme quand elle s'ajoute à la mauvaise foi et que Marianne devient alors une triste "fille" bien pitoyable campée sur ses talons aiguille de la manipulation et du trafic d'influences. Ces hommes politiques qui en usent , tels des danseurs de Limbo n'en finissent pas de se contorsionner pour donner l'impression d'une fausse vraisemblance. C'est ainsi que l'application de cette définition se caractérise dans l'atteinte à la probité et les affaires de corruption illustrées par l'ex ministre du budget Jérôme Cahuzac et son mensonge d 'État " yeux dans les yeux" accusé sept mois après sa nomination de ministre du budget de détenir des comptes bancaires non déclarés en Suisse et à Singapour alors qu'il se posait en pourfendeur de la fraude fiscale. Jérôme Cahuzac a menti à ses collaborateurs, au ministre de l'économie, au premier ministre , aux députés jusqu'au président de la République mais finalement d'abord à lui-même . Il en va de même pour Bernard Tapie dans ses nombreuses affaires ou encore dernièrement de l'ex ministre de l'intérieur , ex secrétaire général de l'Élysée Claude Guéant qui se gobergeait de primes destinés aux policiers. Dans ce type de débat public le recours trop souvent au mensonge est alors utilisé pour servir les intérêts privés. Alexandre Dumas père n'affirmait-il pas " On dit la vérité gratis mais on ment pour de l'argent".

Mais il y aurait aussi beaucoup à dire concernant le double langage, ce stratagème oral et verbal qui consiste à faire semblant de parler vraie avec des arguments fallacieux.

L'ex Président des États-Unis feu Abraham Lincoln définissait la vérité de la façon suivante: " On peut mentir une fois à tout le monde, on peut mentir tout le temps à une personne mais on ne peut pas mentir tout le temps à tout le monde". Donc la notion de Vérité connaîtrait son contradicteur dans le substantif masculin du mensonge ( du latin mentiri, mentir), signifiant l'emploi de " propos contraires à la vérité" impliquant une connotation fausse voire trompeuse.

Toutefois on peut parfois cacher la vérité et donc mentir par nécessité. C'est le cas dans des familles lorsqu'un des proches est atteint d'une maladie incurable. Certains accepteront la situation, d'autres pas.

LA PORTE OUVERTE ...A DES THÈMES D'ACTUALITÉ :"DE LA CONQUÊTE DU DIALOGUE" EN PASSANT PAR "LE STATUT DU RÉFUGIÉ", " DE L' AVEU" , MAIS AUSSI DE "L'ERREUR JUDICIAIRE", "LA FABRICATION DE MENSONGES" JUSQU'À LA QUÊTE DU GRAAL: "CELLE DE LA MANIFESTATION DE LA VÉRITÉ...."

Le directeur de l'institut politique de Paris, Frédéric Mion a donc ouvert sa vénérable Maison au nom "des communautés de valeurs Défense, Liberté, Indépendance que portent celle-ci en présence d'une pléiade d'invités tels le Quartet du dialogue tunisien ovationné, H. Abassi, A Ben Moussa , O . Bouchamaoui et M. Mahfoudh , prix Nobel de la Paix 2015 pour " leur conquête du dialogue" à travers selon ces derniers "certaines concessions , un consensus sur les libertés et les droits la recherche d'une vérité réussie à travers une transition démocratique , une participation effective dans la création d'une vraie justice fondée sur une paix durable dans une transition démocratique sans discriminations " lors du Printemps arabe tunisien. Mais aussi du couple Franco Israélien, Beate et Serge Klarsfeld qui ont fait de leur vie un véritable combat en recherchant , en identifiant et en faisant traduire en justice les nazis souvent cachés en Amérique du Sud comme Barbie , estimant n'avoir jamais d'ailleurs été " pris en défaut de véracité des faits"invoqués dans l'instruction de leurs dossiers, douloureux de réalisme dans leurs principes de vérité .

Xavier Emmanuelli , ancien secrétaire d'État à l'action humanitaire d'urgence , fondateur de Médecins sans frontières, du Samu social de Paris mais aussi au niveau international, tout comme François Sureau , avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation étaient du colloque. Ces derniers se sont efforcés au nom du principe de réalité de tirer la sonnette d'alarme sur la situation actuelle du statut de réfugiés et de s'interroger sur la capacité réelle de la France en matière de politique d'asile . En hommes avertis, ces hommes Sociaux et Sociétaux ont alerté de la " nécessité de s'organiser dans l'ordre en matière des camps de rétention car on constate la présence aussi de la Mafia. Si on ne le fait pas, on risque de faire péter Schengen". Alors oui aux réfugiés mais dans le contexte actuel ces derniers ne doivent pas faire sauter notre dispositif, car ceux-ci vivent dans des conditions déplorables d'hygiène et d'insalubrité. Si on veut faire preuve d'un bon accueil on doit non seulement s'organiser mais encore se structurer" , ajoute Xavier Emmanuelli ." Face à l'inexistence du droit d'asile, dixit F. Sureau "il faut régionaliser le système, mais aussi ouvrir des consulats dans les zones de conflits et puis être vigilants car nous allons accueillir forcément des gens qui ne nous aiment pas ; ces populations migratoires très différentes de nous ne nous comprennent pas et n'admettent pas notre façon d'être". Cela nécessiterait des réformes administratives donc mais qui n'interviendront pas car personne n'ose adopter ce type de politique. Alors comme le dit le diplomate et homme politique Hubert Védrine," prendre position et faire des choix tels ceux d' un retour chez eux ?, de les intégrer ?".

Pour Thierry Lévy, avocat au barreau de Paris, critiquant le fait que certains de ses confrères pensent avoir" tout dit " en matière de défense des intérêts de leurs clients, recourant à ce qu'il juge être " une véritable acrobatie verbale, ce dernier appelle " à avouer lorsque l'écoute par le magistrat ou le fonctionnaire est une obligation relevant de l'universalité". Car il est difficile de se taire lorsqu'on se retrouve devant un juge ou un policier , d'autant que la parole doit servir à s'innocenter si l'on n'est pas coupable. Toutefois " la parole du prévenu dans la procédure judiciaire n'a semble-t-il pas de valeur ou à titre exceptionnel car l'aveu n' a jamais été une preuve , encore moins une réunion de preuves mais plutôt un élément psychologique recherché par l'enquêteur pour se convaincre lui-même que la ligne qu'il a adopté pour mener une enquête imparfaite est bien la bonne. En outre durant le procès, se retirer du langage équivaut à se retirer de celui-ci affirme ce dernier . "Pourtant pour le philosophe Raphaël Enthoven , " croire que l'on détient la vérité, c'est déjà la mettre en détention"; il est donc nécessaire de réhabiliter le droit et le bien contre les dogmes. Car la société a besoin de vérité qu'elle construit à travers l'aveu. On ne s'éloigne pas de la vérité en y renonçant".

Toutefois il semble alors qu'avouer n'a pas permis d'effacer l'erreur judiciaire, cette terrible situation qui correspond "à innocenter une personne qui a été décrétée coupable, l'innocent qui a été condamné" définit l'avocate pénaliste Jacqueline Laffont. En outre "l'Institution reconnait peu qu'elle s'est trompée et aujourd'hui encore les choses n'ont pas beaucoup changées car les juges n'instruisent pas assez à charge et à décharge. Si l'on apprenait aux juges à l'école la beauté du doute notre justice en sortirait pourtant grandi". En outre il faut se méfier de l'état de sidération car sous l'émotion on a tendance à toujours vouloir trouver un coupable; le recul est nécessaire. " Pour l'avocat Espinozi, " le droit à la révision d'un procès est très difficile mais j'interviens toujours lorsque l'affaire est déjà jugée; malgré "l 'autorité de la chose jugée, il y a de nombreux éléments de procédure erronnés" et si certains sont passionnés par l'erreur judiciaire, c'est loin d'être le cas en ce qui concerne les avocats".

Ainsi le cheminement vers la Vérité semblerait peuplé d'embûches pour celui qui n'est peut-être pas clair avec lui même d'abord et donc encore moins avec autrui. Pourtant dans le monde du barreau l'avocat Olivier Morice occupe une place bien à part et détonne pour son amour immodéré de la quête de la vérité. Sa devise qu'il porte haut et fort n'est-elle pas " crier la vérité pour que vive la justice ?". Ce grand défenseur des " causes perdues" luttant contre les mensonges d'État voire des procès souvent englués dans et par le droit affiche avec détermination et pugnacité quelques défenses redoutables telles celles contre la Scientologie, les victimes du terroriste Mérah, de l'Affaire Karachi ou encore du crash Rio/Paris. Grand pourfendeur de la recherche de la vérité, il est monté au créneau contre Nicolas Sarkosy en portant plainte dans l'affaire Karachi contre " une violation du secret de l'instruction" et contre Brice Hortefeux " pour menaces et intimidation" martelant sans faillir " des délits d'entrave à la manifestation de la vérité" mais encore contre l'homme d'affaires Ziad Takiedine "pour diffamation" . Mais qui ne se souvient pas de son combat de titan menée contre l'Institution judiciaire elle-même et l'État de droit dans l'Affaire Borrel? En effet ce dernier n'hésitant pas à s'exprimer dans une chronique judiciaire du monde signée par Franck Johannès relatait et dénonçait le comportement des magistrats Roger Le Loire et Marie-Paule Morrachini en charge de l'instruction du dossier Borrel totalement selon lui contraire aux principes d'impartialité et de loyauté , décriant à cet effet " la connivence entre le procureur de Djibouti et les juges français". Face à cette accusation , les magistrats concernés porteront plainte pour "diffamation et complicité de diffamation" contre l'avocat et le journaliste. Maître Morice et Franck Johannès seront condamnés en première instance , un jugement confirmé en appel , puis par l'Arrêt de la Cour de Cassation . L'avocat s'estimant " victime d'un procès inéquitable ( art 6) et d'une violation de son droit à la liberté d'expression" ( art 10) portera son Affaire devant la 5ème Section de la CEDH qui condamnera partiellement la France. Mais l'avocat bien décidé à faire prévaloir ses droits saisira alors la Grande Chambre de la Cour Européenne des Droits de l'Homme . Suite à l'audience plénière composée de 17 magistrats le 21 mai 2014 ces derniers rendront leur délibéré et arrêt le 24 avril 2015 déclarant unanimement qu'il " y avait bien eu violation à un procès équitable et atteinte à la liberté d'expression " de l'avocat et du journaliste. Un arrêt qui condamnait la France et qui fera désormais jurisprudence inhérente à la parole de l'avocat et de sa quête de la vérité . Une victoire qui confortera l'avocat pénaliste qui s'est " senti bien souvent seul " à continuer à dénoncer les dysfonctionnements dans les procédures inhérentes à la raison d'État. Car pour ce dernier "le problème relève d'un véritable contrôle en la matière et la nécessité de demandes des conditions de déclassification. C'est le grand problème du Renseignement sans toucher la loi sur le secret défense. Il est alors impératif d'avoir plus de clarté au niveau du Renseignement."

Dans la quête de la vérité les mêmes embûches ont jonché le parcours de la vérité qui devait être mise à nue par l'ex juge antiterroriste Marc Trévidic qui depuis cet été a été muté à Lille en tant que vice président de son TGI. Ainsi a -t-il pu constater de la difficulté de " faire avancer" le dossier concernant les Moines de Tibérine et des relations épineuses qui pourraient découler entre la France et l'Algérie. Le magistrat a eu conscience de " relations peu claires " et du " refus français d'ouvrir une enquête relevant d'une véritable obstruction". "Mais en tant qu'ex juge d'instruction j'avais l'obligation de faire mon travail correctement sinon je pouvais pâtir de problèmes. Car tout magistrat instructeur doit vérifier l'information et non de se contenter de ce que les gens disent afin d'instruire à charge et à décharge . Il faut alors être aussi vigilant car certains peuvent créer de fausses preuves. " Concernant le terrorisme et ce que nous vivons aujourd'hui était à prévoir depuis longtemps assène le magistrat . Le seul moyen actuel et face à notre ennemi que l'on connait il en va de l'offensive et il faut occuper le terrain sinon on risque encore de lourds attentats. On doit mettre en place un véritable système et ne pas rester sur le modèle actuel. Par exemple en matière de renseignement il n'y a pas dans La loi un passage stipulant celui du renseignement au judiciaire avec l'apport de preuves comme garantie . En outre il est nécessaire de contrôler les fiches S. Une situation qui demande un accroissement de mille enquêteurs afin de pouvoir travailler convenablement et en profondeur, tout comme il faudrait doubler ceux au parquet et tripler ceux de l'instruction. Il faudrait aussi que le juge judiciaire autorise les écoutes administratives car on perd beaucoup de temps aujourd'hui. La mission impartie doit relever de la prévention et de coller plus à la réalité".

Alors dans ce refus souvent de la transparence où tout un chacun aurait pourtant souvent à y gagner et de la violation tout aussi souvent de l'intégrité, il semble toutefois comme dirait le peintre Braque que " la Vérité existe car on n'invente que le mensonge". Il n'est donc jamais trop tard pour ceux qui veulent de partir en quête de cette dernière .

LOUISE DE LOU

Publié dans DROIT

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